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Photo du rédacteurDr Mazelin

Le syndrome de l’intestin irritable : explication scientifique (2/2)

Dernière mise à jour : 12 mai 2020

Ce deuxième article consacré au syndrome de l’intestin irritable est là pour vous présenter chacun de ses mécanismes physiopathologiques : stress, alimentation, motricité intestinale, hypersensibilité viscérale, microbiote, hyperperméabilité intestinale, trouble de l’immunité et inflammation de bas grade.



Et pour en savoir plus sur le lien syndrome de l’intestin irritable et dépression, nous vous conseillons de lire également : Maladie de civilisation : lien entre troubles anxiodépressifs et syndrome de l'intestin irritable.


Le stress, facteur psychologique favorisant


Le stress est, au fil des années et des recherches sur le syndrome de l’intestin irritable (SII), devenu un des acteurs prépondérants de cette maladie dans sa cause, son fonctionnement et ses conséquences. Tout comme le syndrome de l’intestin irritable semble être une cause de majoration des syndromes anxiodépressifs et assimilés.

Ces deux troubles formant une boucle s’auto-entrainant. On constate ainsi que près de 60 % des patients souffrant d’un SII ont des problèmes psychosociaux.


Le stress semble agir sur l’ensemble des mécanismes du SII avec des actions multiples sur le tube digestif : trouble de motricité, ralentissement de la vidange de l’estomac et du transit de l’intestin grêle, mais accélération de l’activité colique avec augmentation des sécrétions à l’origine de diarrhées (traduction de l’activation du système sympathique et de l’inhibition du système parasympathique - nerf vague), hypersensibilité douloureuse viscérale, altération de l’équilibre du microbiote et apparition d’une hyperperméabilité intestinale à l’origine de la pénétration d’antigènes et d’une réponse immunitaire inflammatoire.


L’étude des patients souffrant d’un syndrome de l’intestin irritable face à un stimulus stressant a même démontré la présence d’une réponse excessive avec une latence plus importante pour s’en remettre que ce soit au niveau psychique ou physique. Cette réaction étant finalement très similaire à celle d’un grand brûlé vis-à-vis du contact physique avec une douleur extrême à chaque contact, même s’il est doux, et un temps important avant un retour à la normale.


L’impact de l’alimentation


L’essor du syndrome de l’intestin irritable et des autres maladies du même spectre ces dernières décennies à pousser les scientifiques à rechercher l’éventuelle variable, déclenchante ou favorisante, ayant subie des modifications importantes durant cette même période. La piste de l’alimentation semble être une hypothèse plus que plausible.


Centrale pour l’homme, car sans elle, il ne peut survivre que quelques jours. L’alimentation a été profondément modifiée sur de nombreux domaines depuis 50 ans. En effet, afin de nourrir l’ensemble de la population continuellement en croissance, il a fallu se concentrer sur des objectifs de productivité, avec la sélection de semences particulièrement résistantes, mais aussi l’utilisation de produits phytosanitaires dont nous commençons à saisir le possible côté délétère pour notre santé à l’heure actuelle. Ainsi, certaines études montrent une baisse significative de notre alimentation en nutriments alors que nous consommons toujours plus.


De plus, la mondialisation a profondément modifié nos habitudes alimentaires avec des aliments du monde entier chaque jour dans nos repas.


On peut donc se poser des questions sur la capacité de notre organisme à s’adapter à autant de changements en si peu de temps. Il se pourrait donc que celui-ci interprète de façon douloureuse ces différents messagers vus comme des informations « parasites ».



Cette thèse est en tout cas avancée par des différents chercheurs, comme en son temps le Dr Kousmine, puis le Dr Seignalet et le régime portant son nom, ou encore le Dr Natasha Campbell-Mc Bride et son syndrome entéropsychologique, mais aussi les Dr Sherpherd et Gibson avec le régime FODMAPs.

Tous mettent en exergue, l’impact de l’alimentation sur notre santé tout aussi bien digestive que psychologique avec un fort lien entre l’ensemble des troubles.




Les troubles de la motricité intestinale


Le tube digestif est parcouru de contractions spontanées permettant l’avancée du bol alimentaire jusqu’à son évacuation. C’est le péristaltisme intestinal. Il résulte de la contraction successive et coordonnée des couches musculaires lisses du tube digestif sous l’influence du système nerveux autonome.


Ce fut le premier mécanisme trouvé pour expliquer le SII. S’il y a trop de contractions, on obtient un phénomène de diarrhée, si au contraire il n’y en a pas assez, le sujet est constipé.

Les études portant sur la motiline (acide aminé participant à la motricité digestive) ont ainsi montré une variation des taux observés par rapport à des sujets sains. Mais cette explication était partielle, en effet les études par manométrie ont révélé que ce trouble n’existe que chez 50% des patients atteint d’une colopathie.

Motricité péristaltique. CDU-HGE. FONDAMENTAUX PATHO. DIGESTIVE. Issy-les-Moulineaux: Elsevier Masson; 2014.


L’hypersensibilité viscérale


Présente chez au moins 2/3 des patients souffrant d’un syndrome de l’intestin irritable, sa découverte dans les années 1990 représente une avancée majeure dans la compréhension de la physiopathologie de cette maladie.


Elle correspond à une perception anormalement élevée, voire douloureuse, de la progression du bol alimentaire ou du péristaltisme intestinal. Elle peut s’assimiler aux phénomènes que l’on rencontre en dermatologie avec les hypo ou hyperesthésies à la douleur.


Le tube digestif présente en effet un réseau nerveux composé de fibres motrices responsables des contractions, mais aussi en comparaison d’une importante richesse en fibres sensitives qui sont destinées à mener aux centres nerveux supérieurs, et plus particulièrement au cerveau, les sensations perçues. Ainsi le principal lien entre le cerveau et l’intestin est le nerf vague (système nerveux parasympathique) composé à 90% de fibres sensitives.


Cette hypersensibilité est objectivable par l’utilisation d’un barostat électronique qui permet de réaliser des distensions intestinales pour des volumes et des pressions donnés.

Bien qu’elle présente un caractère variable selon un même individu en fonction de son état psychologique lors de l’examen, elle est une des méthodes les plus objectives pour évaluer le retentissement d’une thérapie visant le syndrome de l’intestin irritable.

Perception de la douleur viscérale mesurée par la méthode du barostat. L’intensité de la douleur est plus élevée chez le patient souffrant d’un SII (triangle inversé) pour une même pression insufflée (p < 0,05). D’après Mertz et al. 1995


De plus, l’étude de cette hypersensibilité a permis de mieux comprendre le mécanisme des douleurs projetées constatées cliniquement chez ces patients. En effet, lors des distensions intestinales, il arrive que des influx nerveux convergent sur le même étage de la moelle épinière qu’une zone dermique. Ceci expliquant l’étendue ou parfois le caractère aberrant de la localisation de la douleur. Ce phénomène étant également rencontré par exemple lors d’une ischémie cardiaque avec la douleur projetée dans le bras gauche.


Bien que la cause exacte soit encore inconnue, plusieurs mécanismes semblent l’expliquer. Le stress semble en être une cause majeure. Connu pour augmenter la perception et la réponse viscérale, il agirait sur l’ensemble de l’axe cerveau-intestin. Le CRF semble également jouer un rôle prépondérant dans ce mécanisme tant au niveau central que périphérique : au niveau du cerveau en augmentant le phénomène anxieux, au niveau de l’intestin en provoquant la libération de neuromédiateurs qui vont sensibiliser les récepteurs à la douleur et également en causant la dégranulation des cellules mastocytaires. Cette réponse pourrait être à l’origine d’une réaction en chaîne allant jusqu’à influencer le système nerveux central (CNS) en le sensibilisant à la douleur de façon chronique.


Le rôle du microbiote


Le microbiote, anciennement flore intestinale, est actuellement un des « organes » du corps humain qui intéresse le plus les chercheurs. En effet, il apparaît pouvoir être la clé de l’explication de l’origine de nombreuses pathologies jusqu’ici non élucidées. De composition variée (entre 500 et 1000 espèces) et pouvant se modifier en fonction des évènements et de l’âge du sujet, il montre néanmoins une certaine résilience face à des facteurs modifiants extérieurs. De plus, le microbiote, qui pèse entre 1 et 2 kg, se compose à lui tout seul de 1013 bactéries, alors que le corps humain n’en compte que 1012 cellules. Il est donc facile d’imaginer son impact sur la sphère intestinale, mais aussi sur l’ensemble de l’organisme.


Deux groupes de bactéries sont prépondérants : les bacteroïdètes et les firmicutes. Principalement anaérobies, elles ne sont pas cultivables et étaient difficiles à explorer, avant l’avancée technologique que représente la métagénomique et le projet MetaHIT. La répartition en quantité de chaque type de bactérie forme ce que l’on appelle l’entérotype, sorte de signature bactériologique de notre microbiote.


Le rôle du microbiote est central, car il contribue à la transformation des aliments en nutriments et en vitamines, pour cela il utilise entre autres un procédé de fermentation qui a pour conséquence une production de gaz.


Néanmoins, son rôle ne s’arrête pas là, car il participe aussi grandement à l’activité immunitaire en rentrant en compétition avec d’éventuels facteurs extérieurs pathogènes. Et lorsqu’il dysfonctionne, il se retrouve impliqué dans les douleurs viscérales ressenties, ainsi que dans les phénomènes d’hyperperméabilité intestinale avec la translocation de bactéries à travers la paroi digestive à l’origine d’une inflammation de bas grade à toute proximité des terminaisons nerveuses du système entérique. Mais une des grandes découvertes de ces dernières années est son implication dans bien d’autres sphères que digestives, avec par exemple de nombreuses conséquences sur le fonctionnement psychologique.


Le rôle du microbiote intestinal. Biocodex Microbiote Institute


Ainsi le microbiote peut dysfonctionner, soit par des anomalies quantitatives dues à une prépondérance trop importante d’un groupe de bactéries, soit par des anomalies qualitatives. On appelle cela la dysbiose.

Les études en cours cherchent ainsi à définir de façon individuelle le microbiote de chacun, afin d’apporter des réponses personnalisées lors de son traitement ou de celui de ses comorbidités.


L’hyperperméabilité intestinale


Le tube digestif constitue la surface de contact et d’échange la plus importante chez l’homme, mais aussi en temps normal une barrière sélective vis-à-vis du contenu qui s’y trouve afin de ne laisser passer que ce qui est nécessaire et favorable au bon fonctionnement de l’organisme.


Cette barrière est assurée par la « jonction serrée » d’une couche de cellules épithéliales. Ces jonctions étant réalisées par des complexes protéiques composés entre autres d’occludine, de zonuline et de filaments d’actine.

Malheureusement sous l’effet de différents facteurs, tels que des bactéries pathogènes, certains aliments mal supportés ou encore des médicaments, comme par exemple les antibiotiques ou l’interféron α utilisé dans le traitement de l’hépatite C et pourvoyeur d’authentiques syndromes anxiodépressifs, cette barrière peut devenir poreuse.

On parle alors d’hyperperméabilité intestinale.


L’hyperperméabilité intestinale et ses conséquences. Laboratoire Pileje


Les jonctions serrées à présent lâches vont alors laisser passer dans la circulation générale des molécules indésirables telles que des déchets bactériens et alimentaires en quantité excessive à l’origine d’une réponse de défense immunitaire pro-inflammatoire. Molécules pro-inflammatoires elles-mêmes à l’origine d’une augmentation de la perméabilité intestinale.

Cette perméabilité peut être mesurée par des tests d’absorption de différents sucres tels que le mannitol et le lactulose. Elle se retrouve ainsi augmentée dans plus de 50 % des cas de patients souffrants d’un syndrome de l’intestin irritable.

De plus, il a été démontré un corolaire entre la présence d’une hyperperméabilité intestinale, qui serait à l’origine d’une réponse inflammatoire de bas grade, et le développement d’une hypersensibilité intestinale.


Troubles de l’immunité, sérotonine et inflammation de bas grade


La perturbation du microbiote (dysbiose) et l’activation en excès du système sympathique sous l’effet d’un stress, anxiété chronique, sont à l’origine de nombreuses conséquences au sein de l’organisme. Par ces répercussions, on retrouve une modification de l’activité immunitaire pouvant aller jusqu’au trouble de l’immunité.


En effet, l’activation du système sympathique va entraîner une augmentation des cellules gardiennes d’une bonne immunité et productrices de cytokines. A contrario, l’inhibition du système nerveux parasympathique, et donc du nerf vague, va desservir le tractus digestif qui se trouve alors exposé à l’inflammation générée par ces médiateurs de l’immunité.

De plus, certaines cellules dites de surveillance de la lumière du tube digestif, les « Toll-Like Receptors » (TLR), voient leur expression modifiée, or elles font partie de l’arsenal immunitaire nécessaire à la bonne reconnaissance des agents bactériens.


Un des signes du SII est donc l’augmentation des cellules et molécules impliquées dans la réponse inflammatoire au sein de la paroi du tube digestif.


On retrouve ainsi en quantités anormalement élevées :

  • Des cytokines (IL-4, IL-6, IL-13)

  • Le TNFα

  • L’IFN-α

  • Des lymphocytes

  • Des cellules enterrochromaffines (qui participent à la sécrétion de sérotonine)

  • Des mastocytes (qui sécrètent entre autres de l’histamine, qui est un modulateur de la réponse allergique, et de la sérotonine également dont on connaît le rôle sur le système nerveux et les phénomènes anxiodépressifs chez un sujet)


Microbiote perturbé, LPS bactérienne, Hyperperméabilité intestinale et réaction inflammatoire de bas grade. D’après Sun et Al, 2010, et le laboratoire Pileje


L’inflammation a longtemps été rejetée devant l’absence de phénomènes macroscopiques inflammatoire lors des examens exploratoires et devant la négativité du marqueur biologique standard inflammatoire, la protéine C-réactive (CRP). Il a donc fallu des travaux de recherches en physiopathologie pour se rendre compte de l’augmentation des facteurs de l’inflammation au sein des tissus touchés et même globalement au sein du corps entier.

Les progrès scientifiques ont également permis d’avoir en routine des analyses plus sensibles comme la CRP ultrasensible ou encore l’homocystéine afin de détecter plus facilement ces états inflammatoires jusque-là passés inaperçus.


C’est ainsi que fut défini le concept d’état micro-inflammatoire ou d’inflammation de bas grade afin d’expliciter cette inflammation du domaine du microscopique. De plus, cet état est comme nous l’avons vu précédemment en lien avec des modifications d’activation ou d’inhibition du système nerveux autonome dont de nombreux récepteurs se situent au sein du tractus digestif et dont les messagers ne sont autres que des neuromédiateurs également impliqués dans des phénomènes tels que les troubles anxiodépressifs.

Parmi ces neuromédiateurs, la sérotonine semble jouer un rôle central, sérotonine qui pour rappel tient un rôle primordial dans la présence ou l’absence de trouble anxiodépressif, mais également dans son traitement.


En effet, si de nombreux récepteurs sont présents dans le système nerveux central, c’est aussi le cas au niveau du système nerveux périphérique et plus particulièrement au niveau du système nerveux entérique. L’étude physiopathologique a ainsi mis en évidence que 90% de la sérotonine est sécrétée au niveau digestif à partir d’un acide aminé le tryptophane. Neuromédiateur du calme et de la bonne humeur, la sérotonine est également un important facteur modulateur sur de nombreux paramètres digestifs tels que la motricité, la sensibilité, les sécrétions ou encore dans la régulation des capacités de défense immunitaire.

Néanmoins, sa synthèse et ses zones d’action semblent pouvoir être perturbées dans certains cas, comme par exemple lors d’une dysbiose intestinale. Cette perturbation dans les taux de sérotonine au sein de l’intestin semble ainsi être due au même phénomène qui apparaît participer à l’inflammation lors d’un trouble anxiodépressif, c’est-à-dire une perturbation dans la voie de l’indolamine, de la kynurénine et de ses catabolites TRYCATs (20–22) avec pour point central l’utilisation à bon escient du tryptophane.

Ainsi, l’hypothèse lors d’un phénomène de dysbiose d’une perturbation de la voie métabolique du tryptophane avec pour résultante un stress oxydatif à l’origine d’un phénomène inflammatoire semble physiopathologiquement correct.


Cette inflammation de bas grade est concomitante aux changements du microbiote intestinal et source de nombreuses conséquences telles que l’augmentation de la perméabilité intestinale d’où une augmentation de la translocation bactérienne, principalement Gram négatif, et des LPS à travers la barrière intestinale. L’ensemble de ces conséquences créant elles-mêmes de l’inflammation. Ceci ayant pour résultat une hyperactivation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS), ou HPA axis en anglais, dont le fonctionnement a déjà été décrit auparavant dans la partie sur la neuroinflammation des troubles anxiodépressifs. Le retentissement de l’inflammation est donc visiblement global, même s’il est dit micro-inflammatoire.


Conclusion


Le syndrome de l'intestin irritable regroupe donc de nombreux mécanismes. Il convient de les prendre tous en compte si l'on veut améliorer un patient souffrant d'un syndrome de l'intestin irritable. Le problème aujourd'hui est qu'il existe peu de médecins pouvant aider les patients efficacement sur l'ensemble de ces domaines.

Article rédigé par Dr Loris-Alexandre MAZELIN

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1 Comment


Guest
Sep 22, 2023

Bonjour Docteur, et merci pour cette synthèse très complète. Je me pose une question : est-ce qu'il existe une différence des manifestations inflammatoires entre un excès de sympathique (stress chronique, anxiété, burn-in...) et une dominance parasympathique vagale dorsale (décompensation du burn-out, dissociation traumatique, dépression...) ? Est-ce que l'inflammation diminue après la chute du cortisol sur un burn-out par exemple ?

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